Moment fort de l’année internationale 2010 de la biodiversité, la 10e Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique (sommet mondial de Nagoya) a été l’occasion pour Natureparif de dévoiler un premier état de santé de la biodiversité francilienne.

Cet état de santé a été réalisé sur la base des données recueillies dans le cadre de trois programmes Vigie-Nature menés en Île-de-France, comparées à celles obtenues dans les départements limitrophes (appelés zone témoin). À travers trois indicateurs – oiseaux, chauve-souris et papillons – l’agence pour la nature et la biodiversité en Île-de-France a dressé un panorama de la situation actuelle.

On constate qu’en forêt comme dans les milieux agricoles, selon les groupes d’espèces étudiés, l’Île-de-France accueille de 7 à 33% d’individus de moins par rapport à la zone témoin. Cette différence passe à plus de 85% pour les chauves-souris forestières si on exclue la Pipistrelle commune, très tolérante vis-à-vis des perturbations humaines. Enfin, les milieux urbains, s’ils n’ont pas subi de chute des effectifs concernant les oiseaux ces dix dernières années, se révèlent beaucoup moins hospitaliers pour les chauves-souris et les papillons que les milieux ruraux avec jusqu’à 85% d’effectifs en moins concernant la Pipistrelle commune.

Cette étude démontre donc que la biodiversité francilienne n’échappe pas à l’érosion observée au niveau national.

Pourquoi oiseaux, chauves-souris et papillons ?
Les données relatives aux communautés d’oiseaux communs constituent l’un des outils les plus robustes pour appréhender l’état de santé de la biodiversité, véritable tissu vivant composé de quantités incalculables de gènes, d’espèces et d’écosystèmes, et surtout de toutes les interactions entre tous ces composants. Les communautés d’oiseaux comportent des espèces aux régimes alimentaires, aux stratégies de reproduction et aux comportements migratoires variés. Comme le bilan sanguin apporte quantité d’informations sur l’état de santé d’une personne, un état des lieux des communautés d’oiseaux communs fournit des indications fiables de l’état de la biodiversité en général pour nos villes, villages et campagnes.
Parallèlement, s’intéresser aux populations de chauves-souris, c’est se pencher sur un groupe d’espèces qui présente deux particularités les rendant très sensibles aux dégradations environnementales : elles sont strictement insectivores et rentrent en léthargie -en hibernation- pendant les mois d’hiver. Elles sont donc très fortement pénalisées lorsque leur ressource, les insectes, vient à manquer. Par ailleurs, pour hiberner, elles stockent des réserves adipeuses (graisseuses) constituées pour l’essentiel d’adipocytes bruns, propices à l’accumulation de toxines, faisant de ce groupe un bon indicateur de la charge en polluants présente dans l’environnement. L’état des communautés de chauves-souris vient ainsi compléter plus finement l’évaluation de l’état de santé de la biodiversité obtenu à partir de l’étude des communautés d’oiseaux communs.
Compléter ces premières indications par les jeux de données relatifs aux papillons donne des indications sur l’intensité de l’usage des biocides. En effet, au stade larvaire, le papillon est chenille, strictement consommatrice de végétaux, et donc cible privilégiée des pesticides.
Enfin, point commun à ces trois grandes familles d’espèces sauvages, la dégradation voire la disparition de leurs milieux, y compris quand elle est structurelle (comme la fragmentation des habitats par exemple), pèse lourdement sur leur état de santé. Celle-ci les prive en effet de leur habitat, de lieux de reproduction ou de ressources alimentaires. Comparer d’une année sur l’autre leur présence, leur abondance, leur répartition, c’est évaluer le niveau de menace pesant sur la biodiversité.

Les résultats constatés :
Au plan national, après une chute des effectifs spectaculaire de près de 25% de 1989 à 2011, la période 2001-2009 est marquée par une très forte tendance à la stabilisation, exception faite des espèces généralistes pour lesquelles ces taux se sont très nettement inversés passant d’une tendance négative (-8.5) à une tendance fortement positive (+14.5).

Un déclin très marqué de certaines espèces forestières
Pour les espèces spécialistes des milieux agricoles, la situation en Île-de-France ne diffère pas notablement des tendances nationales. Les espèces agricoles franciliennes restent remarquablement stables. Le déclin des forestiers, par contre, est presque deux fois plus prononcé en Île-de-France. Ce déclin est imputable à deux espèces: le Pouillot fitis et la Sitelle torchepot. En effet, tandis que le premier est stable en France depuis 2001 après avoir très fortement décliné de 1989 à 2001, et que la seconde a même cru de près de 15% depuis 2001, les résultats franciliens montrent des déclins respectifs de près de 60% et de 39%. Tandis que le réchauffement climatique est mis en cause pour le pouillot, dont le gros des troupes se trouve en Scandinavie, on peut rapprocher le déclin de la Sitelle torchepot de celui des espèces de mésanges forestières, dont les exigences écologiques sont proches. Comme nous pourrons le voir de manière bien plus spectaculaire encore avec les analyses portant sur les chauves-souris, les forêts franciliennes semblent pâtir de leur isolement et d’une pression anthropique élevée, hypothèse probable qui expliquerait le déclin très marqué de certaines espèces forestières dans notre région.

Un accroissement élevé des espèces spécialistes du bâti
Les espèces spécialistes du bâti croissent de 13,2% au niveau régional, quand au niveau national les tendances accusent une baisse de 3,9%. En décomposant cette tendance régionale pour déterminer quelles espèces contribuent le plus fortement à ce taux, on constate que ce sont principalement le Martinet noir et la Pie bavarde. En effet, si les populations de ces deux espèces se sont montrées respectivement stables et en augmentation de 5% au niveau national de 2001 à 2009, en Île-de-France en revanche, elles enregistrent une croissance de 37 et de 39 % sur la même période. Parmi de possibles explications à ce phénomène, signalons que le Martinet noir est une espèce originaire de milieux rupestres utilisant les bâtiments comme ses falaises d’origine. L’artificialisation devrait donc lui offrir à priori plus de possibilité pour établir son nid. C’est une espèce très peu sensible à l’abondance de ressources en insectes au niveau local car cet oiseau se nourrit de plancton aérien, composé de très petits insectes et surtout, il parcourt pour se nourrir de très grandes distances et dispose donc, même lorsqu’il est nicheur au cœur de la région, d’un large territoire de chasse.
La Pie bavarde de son côté, bénéficie d’un faible taux de destruction en Île-de-France, tandis qu’elle est encore très largement chassée ailleurs en France. La pie bénéficie en outre en milieu urbain d’une forte disponibilité en nourriture et d’une faible prédation. Ces bonnes conditions et ce faible taux de destruction humaine induit un fort taux l’accroissement et une survie plus élevée dans les zones urbaines et périurbaines, comme ont pu le montrer des études réalisées en Seine-Saint-Denis notamment.

Situation contrastée pour les espèces généralistes
Enfin, les espèces généralistes ne montrent pas en région parisienne l’éclatante santé dont elles bénéficient au niveau national. Pourtant la Corneille noire et le Pigeon ramier y bénéficient d’un accroissement sans pareil : de respectivement 49% et 87 % à l’échelle régionale contre 6% et 47% dans tout le pays. Mais ce sont en fait les deux mésanges les plus communes, la Mésange bleue et la Mésange charbonnière, qui contrairement à leur tendance nationale de +14%, marquent un déclin en Île-de-France de respectivement de 5% et 6%. Si corneille et ramier se sont montrés particulièrement efficaces en milieu urbain et périurbain ces quinze dernières années, les deux mésanges semblent bien ne pas bénéficier du caractère très anthropisé de la région sans qu’on ait pour l’instant d’hypothèse plausible permettant d’expliquer cet état de fait.