Sous Terre, Mathieu Burniat, conseiller scientifique Marc-André Selosse, mars 2021

« Vous rêvez d’être immortel ? De posséder d’incommensurables richesses et de régner en maître sur un territoire aussi vaste que les cinq continents ? Hadès, dieu des Enfers, cherche un(e) remplaçant(e). Se présenter à la porte A23 du monde des morts. » En compagnie de Suzanne, une ado qui a répondu à cette petite annonce pas comme les autres et qui se trouve réduite à une taille minuscule, le lecteur explore le monde passionnant du sol.

Dans cet album vous découvrez que le sol, peuplé d’acariens, de champignons, de bactéries et d’une multitude d’autres bestioles, remplit des fonctions vitales pour la planète. Visite guidée (à une taille réelle ! ) avec Mathieu Burniat et Marc-André Selosse.

L’interview

Le sol, ça grouille de vie ! Pourquoi ce magnifique terrain de jeu est-il méconnu ?
Mathieu Burniat : “C’est un milieu difficile à observer, car il est opaque et ses habitants sont minuscules. En outre, il est associé au monde des morts et au « sale ». Darwin s’était intéressé aux vers de terre, mais la plupart des scientifiques ont longtemps préféré observer les oiseaux et les plantes…”
Marc-André Selosse : “L’essentiel de sa population est composé de dizaines de milliers de microbes, de champignons et d’animaux minuscules, la plupart mesurant moins d’un millimètre. Même si la surface du sol était transparente, l’essentiel serait invisible à nos yeux. De plus, depuis le xixe siècle, la société occidentale s’est construite sur la sortie de la terre et de la ruralité, par la migration vers la ville. Il y a donc un problème à la fois sensoriel et culturel.”

Comment réussir à dessiner l’infiniment petit ?
Mathieu Burniat : “J’avais sous la main de très bons livres traitant du sol, et les moteurs de recherche nous proposent des banques d’images de plus en plus fournies. Mais, par souci de clarté, mon dessin n’est pas toujours réaliste. La matière organique ne ressemble pas à du slime comme je l’ai dessinée, par exemple. Par ailleurs, les êtres du sol se côtoient à des échelles très différentes ! J’ai donc fait en sorte que les personnages grandissent ou rapetissent en fonction des épreuves qu’ils traversent. Ils sont réduits tantôt à la taille d’un acarien, tantôt à celle d’une bactérie…”

En quoi ce qu’il se passe sous nos pieds est-il un enjeu écologique fondamental ?
Marc-André Selosse : “Le sol, c’est tout notre monde ! Il contribue à réguler le climat – ou à le déréguler, si nous l’utilisons mal. Il produit des gaz à effet de serre et réchauffe la Terre, ce qui permet de la rendre habitable. Mais si nous le maltraitons, entre irrigation et labour excessifs, il en produit trop, et cela contribue à dérégler notre climat. Il régu- le aussi le cycle de l’eau, laquelle gagne à son contact des éléments minéraux qui s’en vont nourrir les lacs et les mers. Il nourrit les animaux terrestres, y compris les êtres humains, car nous consommons des plantes qui y poussent ou des animaux qui les ont mangées.”
Mathieu Burniat : “Mettre de la matière organique, composée notamment de carbone, dans le sol, évite à ce carbone de se retrouver dans l’atmosphère sous forme de CO2, ce qui limite l’effet de serre. Il est indispensable de préserver le vivant, car il libère les minéraux qui font pousser les plantes. Mieux vaut garder les bêtes qui vivent dans le sol plutôt que d’y mettre des engrais polluants ! Voilà plusieurs millénaires que les plantes poussent grâce aux animaux et aux microbes du sol. L’être humain ne peut pas changer du jour au lendemain leurs habitudes.”

Dans cette histoire, des humains sont réduits à une toute petite échelle et projetés dans ce sol terriffant, où chaque faux pas est sanctionné par la mort. Est-ce une manière de vous venger de notre humanité cupide et égoïste ?
Mathieu Burniat : “Comme les êtres humains traitent parfois mal le sol, les personnages vont subir ce qu’ils ont engendré… Et je voulais, pour préserver le sel de l’aventure, que les héros soient confrontés à des enjeux vitaux. Il est certain que, à l’échelle du monde du vivant dans le sol, la vie est rude !”
Marc-André Selosse : “L’album montre aussi qu’il existe des coopérations entre les concurrents, par exemple entre les champignons et les racines des plantes. Les interactions ne sont pas toujours négatives, et de là naît l’espoir.”

Votre fiction plonge ses sources dans la mythologie gréco-romaine. Comment l’idée d’Hadès, dieu des Enfers, vous est-elle venue ? En quoi est-elle pertinente par rapport au savoir proposé dans ce livre ?
Marc-André Selosse : “L’idée vient de Mathieu et de son génie du scénario !”
Mathieu Burniat : “J’avais besoin d’un contexte pour expliquer ce qu’il se passe sous nos pieds et pour « humaniser » le sol. Hadès l’incarne très bien, car il était le dieu des Enfers mais aussi celui du sol. Et pour rendre le discours scientifique abordable, le plus simple était d’avoir un visage humain.”
Marc-André Selosse : “Les Enfers de la mythologie, c’est le monde du dessous, mais cela n’a rien à voir avec l’Enfer chrétien ! Ce monde des morts, différent de celui des vivants, n’était pas perçu de manière positive ni négative. Aujourd’hui, le sol nous paraît aussi abstrait et bizarre que pouvait paraître le monde des Enfers dans l’Antiquité, alors même qu’il fait partie de notre quotidien. Il se trouve juste sous nos pieds, mais nous le méconnaissons…”

Sous Terre, Mathieu Burniat, conseiller scientifique Marc-André Selosse, mars 2021

Sous Terre
Mathieu Burniat, conseiller scientifique Marc-André Selosse, Dargaud, mars 2021