Marie Ouazzani & Nicolas Carrier Invasive Passengers 2019, distributeurs isothermes en libre-service, infusions, textes, briques, plantes,

Le musée d’Art et d’Histoire Louis-Senlecq de L’Isle-Adam présente une exposition temporaire consacrée au travail du duo d’artistes contemporains Marie Ouazzani et Nicolas Carrier.

Marie Ouazzani et Nicolas Carrier travaillent ensemble depuis 2015. Le duo développe une pratique artistique à travers la recherche et l’exploration des territoires urbains et leurs périphéries. Il invente des fictions climatiques, situées dans un présent indéterminé où passé et futur se mélangent. L’histoire coloniale et les vestiges de la mondialisation côtoient la crise écologique et son impact sur les humains, le végétal et l’architecture.

La proposition artistique faite au musée d’Art et d’Histoire Louis-Senlecq s’articulera autour de deux notions centrales dans leur travail : les jardins et les ports.

Au premier étage du musée, les artistes transformeront l’architecture intérieure afin de laisser la lumière pénétrer dans le bâtiment. L’installation Infiltrations prendra soin de plantes ornementales à l’aide d’infusions de plantes en lien avec le territoire et le musée. Elles pourront être partagées par le public – « boire le paysage » pour le redécouvrir ou l’appréhender d’une toute autre manière et réfléchir à la place de ces plantes dans nos sociétés contemporaines.

Un ensemble de photographies, réalisées par le duo ces dernières années dans différents contextes urbains, viendra compléter cette installation en proposant un regard contemplatif et inquiet sur les ruines de nos écosystèmes en prise avec la crise écologique.

L’installation Extra tropical, rassemblant quatre vidéos réalisées entre 2020 et 2022, sera présentée pour la première fois dans son intégralité au deuxième étage du musée. Ces vidéos réalisées dans les ports de Lisbonne, Brest, Anvers et Gênes, proposent une relecture critique de l’histoire de l’Europe, à travers le passé colonial, industriel et commercial de ces ports, et de la mondialisation.

L’invitation du musée d’Art et d’Histoire Louis-Senlecq au duo d’artistes Ouazzani Carrier vise à promouvoir la création contemporaine émergente au sein d’une institution muséale du Val-d’Oise, ainsi qu’à ouvrir la notion de paysage – centrale dans le projet scientifique et culturel du musée – à des questionnements esthétiques, politiques et artistiques actuels.

Marie Ouazzani & Nicolas Carrier Extra tropical 2020, 2 vidéos HD, 6 min, production CAC Passerelle, La Junqueira

L’exposition

Le titre de l’exposition « Emprunt lointain » fait référence à une tradition japonaise (d’origine chinoise) employée par les paysagistes pour donner l’impression d’un jardin aux dimensions infinies en dépit des contraintes de superficie : le shakkei. Ce titre vient faire écho à la tradition de peinture de paysage omniprésente dans la collection du musée d’Art et d’Histoire Louis-Senlecq.

Avec cette exposition, la question du paysage est appréhendée à travers des médiums peu présents voire inexistants dans la collection du musée : vidéos, photographies, installations. Elle se déploie aussi à travers un travail in situ de transformation de l’architecture intérieure du lieu, dont les parois qui couvrent les fenêtres et en obstruent la lumière ont été retirées – un geste artistique motivé également par le désir de reconnecter le bâtiment avec l’extérieur et redonner au musée une ouverture sur le monde. Si la lumière naturelle est considérée comme dangereuse et potentiellement destructrice pour les conservateurs de musée, pour Ouazzani Carrier elle est au contraire indispensable à la survie des plantes qui ordonnent leur travail. Ces plantes sont omniprésentes dans les compositions sculpturales installées au premier étage. Quant aux distributeurs isothermes exposés (objets récurrents dans leurs installations et éléments essentiels de leur grammaire artistique), ils sont les contenants d’une nature, d’un paysage, qui vient traverser nos corps. Dans chacun d’entre eux se trouve une infusion unique proposée à la dégustation du visiteur : lierre grimpant / nénuphar racine / ortie piquante / pissenlit commun. Ces plantes et fleurs peuvent se trouver autour du musée, dans la ville, au bord de l’Oise ou dans les forêts du Val-d’Oise. Car pour le duo d’artistes, le paysage n’est pas seulement visuel, il se respire et se goûte et reste ainsi dans nos mémoires.

Pour Ouazzani Carrier, les plantes sont à la fois les « sujets » et un « matériau » leur permettant d’aborder des enjeux climatiques, écologiques et elles mettent indirectement à jour des pans invisibilisés de l’histoire de nos sociétés occidentales (et de ses multiples héritages coloniaux). Car, rappelons-le, ces plantes, aussi anodines qu’elles puissent paraître, ne sont pas là « par hasard », elles ont, elles-aussi, une origine et des trajectoires aussi mouvementées et complexes que ne le sont les trajets des populations humaines.

Marie Ouazzani & Nicolas Carrier Extra tropical (arecaceae) 2020, vidéo HD, 6 min, production CAC Passerelle

Au deuxième étage du musée, sera présentée pour la première fois l’installation Extra tropical, qui rassemble quatre vidéos Arecacea, Yucca, Hevea, Opuntia réalisées dans différentes villes portuaires d’Europe entre 2020 et 2022. La question de la migration des plantes et de leur acclimatation est soulevée dans cette pièce qui montre quatre espèces de plantes tropicales.

L’hévéa, cultivé dans les régions tropicales comme source de caoutchouc naturel, contemple la pollution de l’industrie pétro-chimique du port d’Anvers. Le yucca, originaire d’Amérique centrale – introduit pour certaines espèces (Yucca gloriosa) dès le XVIe siècle – pourrait être une trace de la traite des esclaves qui fit la fortune du port de Lisbonne. Les Arecaceae, plus communément appelés palmiers, qui décorent le port de Brest, nous rappelle les ravages causés par l’industrie de l’huile de palme. Et enfin, l’opuntia, ce cactus très invasif, est ici mis en parallèle avec les dégâts causés par l’industrie du tourisme de masse et des croisières du port de Gênes.

Marie Ouazzani
& Nicolas Carrier
Extra tropical (opuntia) 2022, vidéo HD, 6 min, production Institut français

L’être humain est absent des vidéos, les plantes y sont les personnages principaux, seules survivantes de la catastrophe que représentent des siècles d’activité industrielle intensive et de commerce international accéléré.

Le travail de l’image qui trouve ses sources dans la peinture, la photographie ou le cinéma, est central pour le duo d’artistes. Leurs compositions rigoureuses, le traitement météorologique de la couleur et des lumières, le jeu avec les échelles, les degrés de netteté, ainsi que la sobriété des techniques d’impression incitent à reconsidérer ce qui (nous) est indispensable.

Le travail de Ouazzani Carrier transforme la connaissance de notre environnement végétal ordinaire en l’opportunité d’une déconstruction de l’ethnocentrisme et des pratiques consuméristes qui sont nôtres.

Au travers de cette approche, les artistes entretiennent à dessein une ambiguïté qui nous laisse songeurs. Sommes-nous capables de trouver les voies d’une transformation ? Ou bien allons-nous disparaître faute d’une transition concevable ? La survie des plantes au regard des effets du changement climatique actuel se veut-elle ici un message d’espoir ou une mise en garde ?

Les œuvres de Ouazzani Carrier nous plongent dans un univers sensible qui ne cherche en rien à dissimuler ou esquiver la violence du monde, mais nous invitent, au contraire, à garder les yeux ouverts, déployant à notre attention une véritable poésie de la lucidité.

Informations pratiques

Musée d’Art et d’Histoire Louis-Senlecq
31, Grande Rue, 95290 L’Isle-Adam.

Tél. : 01 74 56 11 23 / 01 34 08 02 72
musee@ville-isle-adam.fr
www.musee.ville-isle-adam.fr

Ouvert du mercredi au dimanche de 14 h à 18 h, fermé le lundi et le mardi, et le 14 juillet.

Tarifs plein : 4,50 € ; réduit : 3,50 €. Gratuit le 1er dimanche de chaque mois, pour les Adamois, les moins de 18 ans, les étudiants en Arts plastiques et en Histoire de l’art, les Amis du Louvre, les titulaires de la carte ICOM, de la carte Culture et de la carte “Découvertes en liberté”.