Ce dimanche 26 juin 2022 marque l’ouverture de la nouvelle exposition végétale du Jardin des 9 Carrés intitulée « Des Arbres et des Hommes ». Inaugurée dans les jardins de l’Abbaye de Royaumont, dans le Val d’Oise, cette collection permet d’explorer le quotidien des femmes et des hommes du Moyen-Âge et leurs liens avec les arbres. Elle restera en place jusqu’en 2025.
Le Jardin des 9 Carrés, un espace d’exposition botanique
Ce jardin explore, à chaque nouvelle collection de plantes, un aspect du rapport complexe de l’homme avec la nature, au Moyen Âge comme à l’époque moderne.
Situé entre le réfectoire et les cuisines des moines, le long d’un canal, ce jardin est visible toute l’année. Il est composé de 9 carrés surélévés, ceints d’un plessis de chataigner, et entouré d’une haie d’osier vivant tressé. Une immense “table du savoir” le borde. Les plantes restent en place de façon naturelle tout au long de leur cycle.
Expositions précédentes :
- 2016-2021 : Entre Orient et Occident, le voyage des plantes au Moyen Âge
- 2013-2016 : Plantes symboliques, signes et emblèmes
- 2010-2013 : Pouvoirs, symboles et vertus des plantes magiques
- 2007-2010 : Plantes de couleur, couleur de plantes
- 2004-2007 : Un jardin dans l’esprit du Moyen Âge – Les secrets de médecine d’Hildegarde de Bingen
La nouvelle thématique : l’arbre dans le quotidien médiéval
La nouvelle exposition végétale propose d’explorer le quotidien des hommes et des femmes médiévaux et leurs liens avec les arbres.
L’arbre, banal, quotidien de par ses usages, est l’une des composantes principales de la vie domestique. Sa participation dans la vie médiévale, qu’elle soit utilitaire, médicinale ou symbolique, revêt un caractère intime, comme une familiarité évidente. Fête de village autour de l’arbre de mai, culture de fruitiers dans les domaines royaux, les monastères et les vergers, chasse dans les garennes et les bosquets, bois de chauffe ou de construction… L’arbre est au cœur de la vie et de sa bonne gestion dépend l’épanouissement de la société, ou de ce que Michel Pastoureau appelle une « civilisation du bois ».
Dans un autre champ, les investigations et observations botaniques des érudits du Moyen-Âge traduisent une intimité bien spécifique avec le règne végétal. Elle se tisse progressivement avec l’observation du fonctionnement des plantes, la notation d’analogies… Les encyclopédies révèlent cette bonne connaissance des espèces, de la forêt au verger, et de leur exploitation fructueuse. Le bois est considéré comme un matériau noble d’une plus grande valeur que la pierre ou le métalcar, à l’inverse de ces derniers, il est considéré comme une matière vivante.
Les ouvrages scolastiques du Moyen-Âge, dans la lignée des études naturalistes grecques antiques, décrivent les variétés de formes végétales, dans un discours souvent plus gourmet que scientifique, également moral et symbolique.
Enfin, il n’est pas anodin que l’arbre généalogique, tel que nous le connaissons aujourd’hui, se développe au Moyen Âge. À lui seul, il symbolise l’imaginaire d’une époque qui lie les humains et les arbres : le sang y est sève, le mariage une greffe, le lignage une branche, les enfants des fruits…
Le parcours : de l’arbre isolé à la forêt profonde
Cette sixième collection propose une déambulation en six étapes, qui permet de s’immerger au milieu des arbres, comme auraient pu le faire un homme ou une femme au Moyen-Âge.
De la localisation de chaque arbre découlait la nature du lien que les hommes entretenaient avec lui. Le parcours guide le visiteur, depuis l’arbre isolé, vers le verger, la haie et les lisières, le sous-bois, la forêt utile, jusqu’à la forêt profonde.
Le parcours fait état des usages quotidiens de chaque essence et de l’imaginaire collectif qui s’est développé autour d’elle. La plantation devient, au fil du parcours, de plus en plus dense, à l’image du chevalier qui s’enfonce progressivement dans la forêt, à la recherche d’aventures. La scénographie renseigne également sur les catégories des espaces boisés : « bois revenants », « bois de garde », « garennes »…
Pour chaque espèce, des informations succintes sont données sur ce qu’en savaient les hommes et les femmes du Moyen Âge, l’usage qu’ils en faisaient et l’image qu’ils en avaient, tels qu’ils nous ont été transmis.
Paysage 1 – L’arbre isolé, solitaire, point de repère
Il est au centre de villages, de places urbaines ou à la croisée des chemins. L’arbre isolé est fortement symbolique. Il sert de point de repère, de point de rassemblement. Il est souvent d’essence noble. Quelques exemples… Le tilleul, l’arbre de joie, sous lequel prennent place fêtes et réjouissances ; le chêne de Saint Louis à Vincennes, symbole de la justice ; ou l’orme de Saint Gervais à Paris, qui servait à la fois de repère géographique et de lieu de réunion pour la population du quartier.
Paysage 2 – Le verger
Le verger est un lieu clos dont toute menace est exclue, où la nature est maîtrisée et où les jeux courtois entre dames et chevaliers prennent place. L’arbre y est nourricier et symbole de vertus. Les essences sont parfois exotiques. Le verger est composé d’arbres tiges plantés de manière régulière, d’essences diverses : pommiers, figuiers, poiriers…
Dans le Roman de la Rose, Guillaume de Lorris (1200-1238) décrit un verger comportant toutes sortes d’arbres pouvant porter des fruits, mais aussi des arbres de la forêt. « Ces arbres », précise Guillaume de Lorris, « sont éloignés l’un de l’autre de la distance qui convient : il y a de l’espace entre eux, mais comme leurs branches sont longues, ils dispensent un ombrage tel que le soleil ne peut nuire à l’herbe tendre ».
Paysage 3 – Les haies et les lisières
Le mot « haie » au Moyen-Âge peut à la fois désigner une zone boisée faisant office de frontière sur les limites d’un domaine ou d’un territoire, ou bien, comme de nos jours, une clôture végétale composée d’arbustes (buissons, ronces, épines) ou d’arbres en ligne, qui limite une parcelle et forme un brise-vent. Ces haies sont aussi sources de production de certains fruits et baies, de bois pour la vannerie et de chauffe. Les besoins en vannerie, par exemple ont dessiné les paysages des bords de rivière avec des plantations spécialisées et des formes spécifiques : les saules étaient taillés de façon à produire périodiquement des rejets aisés à couper.
Paysage 4 – Le sous-bois
Les arbres des sous-bois étaient largement utilisés. Les forêts autour des villes étaient indis- pensables pour la consommation domestique (chauffage et cuisson). Elles étaient aménagées par les habitants qui donnaient aux arbres la forme qu’ils souhaitaient. Elles étaient menées en « taillis », c’est-à-dire en zones où les arbres, coupés à intervalles réguliers (8, 10 ou 15 ans), produisent de jeunes pousses, les « rejets », utiles pour l’artisanat, les ustensiles ménagers qui n’allaient pas au feu, la fabrication d’outils, les clôtures, les piquets… Parfois, ces taillis étaient « sous futaie » : certains arbres sont régulièrement coupés au niveau de la souche (« recépés » pour utiliser le terme technique) mais d’autres sont laissés libres de s’élancer vers le ciel et de produire des « fûts » élevés et droits. Roland Bechman dans son ouvrage Des arbres et des hommes, parle de « subtile connivence entre l’arbre et l’homme » lorsque ce dernier surveille des années durant le développement d’une branche propre à fournir l’outils dont il aurait besoin.
De nombreux métiers, aujourd’hui oubliés, dépendaient de l’exploitation de ces bois et taillis : sabotiers, charbonniers, pelonniers (qui fabriquent des objets ou instruments domestiques), cueilleronniers (fabricants de cuillères), boisseliers escriniers (fabricant d’écrins), broquiers (fabricant de brocs), huchiers (fabricants de huches), peleurs d’écorces… Chacun de ces métiers exige un savoir-faire, transmis de père en fils.
Paysage 5 – La forêt utile
Dans la forêt utile (« forestis sylva »), l’arbre sauvage est domestiqué afin de pourvoir aux besoins de bois de charpente et d’œuvre : construction de maisons urbaines et rurales, édifices publics et religieux, ponts et enceintes. Il sert aussi à la tonnellerie, la fabrication de charrettes, de bateaux, de barques… Cette forêt, organisée en « taillis sous futaie », est aussi pourvoyeuse d’arbres fruitiers, comme les pommiers, pruniers, chênes (glands), hêtres (faines) ou châtaigniers, et de baies. Les droits d’usages y sont généralement réglementés. Par exemple, les garennes sont des bois clos, réserves de chasse seigneuriale.
Paysage 6 – La sylve, la forêt profonde
Originellement, le mot « forêt » est un terme juridique. Ce sont donc les espaces qui échappent aux juridictions légales qui sont évoqués ici. Cet autre visage de la forêt, la forêt profonde, reste peu exploré. C’est un taillis sous futaie dense, voire impénétrable, lieu de refuge des brigands, fous, fugitifs, persécutés, amants, ermites ou chevaliers en quête d’aventure. Leur vie est racontée dans les contes et légendes du folklore populaire. À certaines étapes clés de ces récits, des arbres jouent un rôle ou portent de puissants symboles. Traverser la forêt peut constituer un rite initiatique, où la lisière joue un rôle de frontière.
Autour de la collection : la table du savoir, les pieds-mères, le verger
L’exposition est complétée par divers outils pratiques et pédagogiques.
La table du savoir est un plateau d’amarante d’un seul tenant, long de 17m, large de 1m et épais de 25 cm. Venu de Guyane, ce cœur d’un arbre est plus qu’impressionnant : il pèse plus de 7 tonnes. L’amarante est un bois exotique précieux, violet lorsqu’il est mouillé et doté de veines peu apparentes. Au moment du sciage, le cœur fraîchement coupé est presque blanc mais il se colore rapidement à la lumière. Sur la table du savoir sont présentés les végétaux du jardin des 9 carrés, isolés et étiquetés en pots, ce qui permet une information systématique sur ces plantes, relayée par une documentation disponible sur le site.
Le jardin de pieds-mères regroupait les plantes destinées à être multipliées et sur lesquelles sont prélevées les graines, les organes végétatifs et le pollen, qui donnent naissance aux plantes filles. Aujourd’hui, il conserve également la mémoire des collections précédentes.
Enfin, le verger, toujours présent dans les jardins médiévaux, complète harmonieusement la visite.
Autour du jardin : un parc et deux autres jardins remarquables
L’abbaye cistercienne de Royaumont se dresse dans le Val d’Oise, entre étangs et forêts, au sein d’un Parc naturel régional.
Son histoire, exceptionnelle, commence avec le jeune roi Louis IX, qui fonda ce monastère à 14 ans. Exceptionnelle, l’abbaye l’est aussi par son architecture majestueuse, qui s’organise autour de son cloître, l’un des plus grand d’Europe. Elle se dresse à la lisière du Parc Naturel Régional Oise – Pays de France, au cœur d’un somptueux écrin de verdure. Son parc traversé de canaux et ses jardins constituent un ensemble unique, à la fois historique et contemporain, classé « jardin remarquable ».
Au XIIIe siècle, la présence de l’eau a joué un rôle essentiel dans le choix du site. Étangs creusés à main d’homme et rivières canalisées ont permis la pêche ou l’arrosage des cultures, quand l’eau potable était captée depuis des sources proches. Aujourd’hui, à l’entrée du parc, un bassin circulaire ombragé accueille les visiteurs, qu’un alignement de marronniers et un étroit canal conduisent vers le bâtiment des moines.
A Royaumont, nature et culture ne s’opposent pas mais se conjuguent. Les trois jardins et le parc sont autant des lieux de découverte, de détente, de création, d’expérimentation, de rencontres, d’écoute et de transmission. Les musiciens et les danseurs accueillis par le Centre Culturel de Rencontre y trouvent l’inspiration. Les élèves des écoles d’Ile-de-France et de l’Oise s’y initient à la botanique grâce à différents dispositifs pédagogiques ludiques. Et les visiteurs y prennent le temps de s’émerveiller. La devise de la Fondation, « Inspirer, créer, partager », trouve tout son sens dans ce parc où les paysagistes sont invités à manifester autant de créativité et d’audace que les artistes en résidence.
Dans le prolongement des programmes de création artistique de la Fondation, les jardins de Royaumont abritent des œuvres contemporaines, quand ils n’en sont pas eux-mêmes… Menée en 2010, la restauration du jardin du cloître, avec ses buis, ses ifs et ses cyprès, s’est appuyée sur la recréation entreprise au début du XXe siècle par le paysagiste Achille Duchêne. Au centre de ce jardin classé figure une installation permanente de l’artiste Yann Toma, l’œuvre Geysir Ouest-Lumière.
Le Potager-Jardin, « contemporain et allégorique », imaginé par les paysagistes Astrid Verspieren et Philippe Simonnet, fait cohabiter des planches de culture régulières avec des compositions végétales et légumières plus libres, produit de semis spontanés.
Le troisième jardin est celui des paysagistes Olivier Damée et Edith Vallet : le jardin des 9 carrés, dont la nouvelle exposition est inaugurée ce 26 juin 2022.
Le jeune chef jardinier Romain Van de Walle, arrivé à Royaumont en 2020, poursuit l’entretien quotidien des parties historiques ou contemporaines en l’adaptant, entre autres, aux nouvelles contraintes climatiques. Pour cela, il entend pratiquer, dans le respect de l’histoire du site, une agriculture écologique, avec l’appui de son collègue Corentin Mercier et d’une entreprise d’insertion. A la manière des premiers moines eux-mêmes, qui, en matière de techniques agricoles ou d’utilisation thérapeutique des plantes, surent allier l’innovation à la vertu…
Informations pratiques
Fondation Royaumont, 95270 Asnières sur Oise.
Tél. : +33 (0)1 30 35 59 00.
L’abbaye de Royaumont est un joyau de l’art gothique entouré de jardins remarquables, que Louis IX (le futur Saint Louis) a fait bâtir en 1228. Située à moins d’une heure de Paris dans le Val d’Oise, elle attire chaque année plusieurs dizaines de milliers de visiteurs. La Fondation Royaumont conserve et enrichit ce patrimoine qu’elle revitalise à travers l’accueil, le soutien et l’accompagnement d’artistes de la musique et de la danse. En 2022, elle célèbre un anniversaire : c’est en effet en 1972 qu’elle est devenue Centre culturel de rencontre, un lieu foisonnant de projets, de rêves et de vie.
Visite libre : d’avril à octobre, de 10h à 18h; de novembre à mars, de 10h à 17h30.
Plein tarif (pass journée, sur place) : 10€.
Venir en train + navette, les dimanches : assurant la liaison avec la gare de Luzarches (ligne H), les navettes permettent de rejoindre l’abbaye en 8 minutes, soit moins d’une heure de trajet depuis la gare du Nord. Leurs horaires vous permettent de venir déjeuner, dormir, visiter et profiter de la programmation culturelle des dimanches.
Lors du Festival, des navettes spécifiques sont mises en place, en particulier à la fin du concert du samedi soir, qui est suivi d’un retour direct à Paris. Le nombre de places étant limité, la réservation est recommandée. Votre justificatif de réservation vous sera demandé. Masque indispensable