Handpainting, 2016 peinture acrylique sur toile libre, 150 x 200 cm, Olivier Baudelocque

Le trait d’union, dans le titre de cette nouvelle exposition, n’est ni fortuit ni l’effet d’un jeu de mot facile. Certes, il y est question de paysages. Ils sont réels, mentaux, fantasmés, apaisants ou terrifiants, stables ou en mouvement, identifiables ou cryptés… La question centrale est celle de la position de l’artiste et du regardeur de ces œuvres vis-à-vis de la représentation de la nature, à la fois objet de notre observation, sujet de transformations multiples et incessantes, et matériau pour le créateur…

Il y a évidemment un peu de folie dans tout ceci, le contraire de la sagesse, mais, si, selon saint Paul s’adressant aux Corinthiens “la sagesse de ce monde est folie devant Dieu”, peut-être que la folie de nos artistes est sagesse ailleurs… Au visiteur d’en juger…

La diversité des approches, des techniques et des démarches plastiques ont été privilégiées – peinture (Olivier Baudelocque et Françoise Blondel), dessin (Olivier Marty et Olivier Morel), photographie (Nomanzland), mélanges de techniques (Antonio Zuluaga et Éric Vassal).

Les handpaintings d’Olivier Baudelocque sont réalisées avec les doigts en guise de pinceaux. Ces immenses compositions résultent d’un corps-à-corps de l’artiste avec la toile fixée au mur de son atelier, habituellement superposée à d’autres, pas encore achevées. Elles ont parfois plus de quatre mètres de largeur et se lisent comme des paysages, calmes ou cataclysmiques, parfois peuplés de personnages ou d’animaux, réalistes ou mythiques. Pour leur réalisation le peintre est obligé de se tenir tout près du mur. Il manque donc du recul nécessaire pour en appréhender la structure générale. Il est ainsi condamné à une vision locale qui le rend aveugle au contexte plus global. Cette impossibilité de percevoir en permanence l’ensemble de la composition en devenir impose des stratégies alternatives, faites de gestes locaux, dont la répétition et l’addition construisent progressivement la structure globale. Dans ce long processus, le paysage, intériorisé, se matérialise progressivement à partir de fragments locaux, risquant, à chaque nouveau geste, de voir vaciller son aspect final.

Les toiles de Françoise Blondel sont à la limite de l’abstraction. Seule une observation attentive permet d’y discerner des références à la nature, à la végétation. Comme l’artiste le déclare, elle ne désire pas décrire mais écrire le végétal, le ciel, l’eau et la terre. Ce sont donc des évocations de paysages qui nous sont offertes et non des descriptions empreintes d’un quelconque réalisme. Dans une forme de très baudelairiennes synesthésies, elle vise même à rendre, au-delà des couleurs, des ombres et des lumières, le mouvement, les odeurs et les sons, essentiellement par le jeu des couleurs et la dynamique des lignes et de leurs arabesques. On ne distingue pas nécessairement ce qui est proche de ce qui est lointain, mais on perçoit une circulation entre les plans picturaux, solidement architecturés, circulation qui entraîne le spectateur, à son corps défendant, à l’intérieur du tableau.

 

Les paysages d’Olivier Marty, architecte-paysagiste de formation, sont paradoxaux. Si l’on se contente d’une lecture superficielle, ils relèvent d’une forme d’abstraction gestuelle. Ce n’est qu’en les observant plus attentivement que l’on découvre qu’ils figurent, qu’ils repré-sentent… On devine qu’ils ont été produits par de grands gestes énergiques, parfois éjaculatoires, mais le résultat a, le plus souvent, le calme paisible des environnements pastoraux. Ils paraissent négligés, non finis, mais, à bien observer, on découvre que le retrait de la moindre ligne, de la moindre tache les viderait de tout sens. On pourrait les imaginer comme des fruits du hasard mais on prend rapidement conscience qu’ils sont solidement architecturés, même si leur ossature se dissimule pudiquement. Les couleurs pourraient passer pour arbitraires et dégagées de tout rapport avec la réalité mais on réalise bientôt qu’elles résultent d’une observation analytique aiguë de leur sujet… Ce sont ces multiples jeux de tensions, ces superpositions de situations d’instabilité permanente, qui donnent à ces paysages – qui pourraient être aussi banals que ceux de cartes postales touristiques – leur caractère dérangeant et fascinant.

Forêt 47, saison 1, 2019, peinture acrylique sur toile, 130 x 162 cm, Olivier Morel

Pour Sigmund Freud, une épaisse forêt est un symbole des poils pubiens. Les Forêts d’Olivier Morel se situent aux antipodes de cette image. Elles sont joyeusement colorées, ludiques mettent en avant des éclats de lumière dans des lointains parfois voilés… Elles conservent cependant la qualité archétypale de la forêt en tant que lieu où l’on se perd et où se cachent des esprits plus ou moins malfaisants. Elles évoquent une déambulation sans objectif défini, probablement inaccessible. L’artiste déclare d’ailleurs : « Là où je vais, il n’y a pas de chemin. » On y relève l’absence de présence humaine. Les troncs sortent du cadre pour suggérer l’infinitude de l’espace. De ce point de vue, elles incitent à une forme d’introspection sous la forme d’une contemplation d’espaces qui deviennent intérieurs, laissant muet et désarmant le spectateur. Cette forme d’aphasie, l’artiste la revendique : « les mots sont impuissants à transmettre l’expérience vécue. Ils enferment dans des catégories, réduisent le sens, étouffent. C’est pourquoi je peins, pour me passer des mots. »

Nicolas Waravka, alias Nomanzland, explore la place de l’Homme dans la nature, le transposant dans des univers imaginaires où le traditionnel rapport de force qu’il a établi est remis en question. L’humanité est redéfinie comme une simple espèce évoluant parmi d’autres, s’effaçant au profit d’environnements vastes et mystérieux. L’artiste suggère une quête poussant à découvrir et comprendre ce monde environnant, déployant courage, prudence et humilité, invitant à la réflexion. Il s’attache à retranscrire, dans ses compositions, une dualité entre un monde à la fois hostile et empli d’espoir, dans une dichotomie entre ombre et lumière, le bien et le mal, la lumière et l’obscurité s’interpénétrant à travers des frontières poreuses. L’univers résultant évoque les romans gothiques du XIXe siècle, l’intrusion du rêve dans la réalité, avec la croyance à la réalité supérieure de certaines formes d’associations des surréalistes, mais surtout l’inquiétante étrangeté (Unheimichkeit) de la littérature romantique allemande, théorisée par Jentsch puis Freud.

Paysage intérieur, 2015 photographie et dessin à la plume sous cadre vitrine, 50 x 70 cm, Éric Vassal

Les Paysages intérieurs d’Éric Vassal, plasticien à la production variée, juxtaposent deux images d’un même fragment de paysage : à gauche une photographie, à droite un dessin à la plume reprenant, à la même échelle, ses caractéristiques essentielles, quasiment ré- duites à des idéogrammes. Par cette démarche, l’artiste nous invite à porter un regard analytique sur notre environnement, mais interroge aussi le processus de mémoire visuelle. Qu’est-ce qui fait que l’on se souvient d’un paysage ? Quelles en sont les caractéristiques distinctives ? Est-il réductible à un schéma ? A contrario, partant du dessin, peut-il rendre compte, à lui seul, de l’unicité de son image génératrice ? Ailleurs, dans une vidéo, Éric Vassal anime une célèbre peinture de paysage de Joos de Momper (1564-1635) en simulant l’effet d’une tempête dont les rafales pulsent un rythme cardiaque qui humanise le végétal et le minéral.

Caspar David Friedrich is gone (hommage), 2013 collage papier, dimensions variables, Antonia Zuluaga

Antonio Zuluaga, en lointain héritier d’Hubert Robert, des artistes ruinistes du XVIIIe siècle, inspiré par Caspar David Friedrich, s’intéresse aux ruines. Il ne les aborde cependant pas avec le regard nostalgique des périodes classique et romantique, mais se penche sur le processus de leur désintégration, de leur déconstruction. Selon ses propos, il analyse les concepts de transformation, observe les changements et les transitions, comment une chose se traduit d’un état vers un autre tentant d’établir une distinction entre ce qui est éphémère et ce qui est éternel; ce qui disparaît et ce qui demeure. Ou encore : la ruine et le fragment ne sont pas une trace du passé, mais une construction du futur, c’est-à-dire le devenir. Il en résulte des structures fragiles, quasi immatérielles, mêlant photographie, dessin et vidéo, dans lesquelles tout se fragmente, se transforme et se reconstruit dans un mouvement cyclique qui fait écho à la succession des saisons.

Informations pratiques

Espace d’Art Chaillioux Fresnes 94
7, rue Louise Bourgeois, 94260 Fresnes.

Exposition du 1er au 19-12-2020 / du 5-01 au 27-02-2021
Ouvert du mardi au samedi, de 14h à 19h. Entrée libre.

Courriel : accueil@art-fresnes94.fr
Tél. : +33 1 78 68 28 37