Hommage à Saint-John Perse par Patrice Alexandre dans le Jardin des Plantes de Paris

Ce monument de bronze à la gloire de Saint-John Perse réalisé par Patrice Alexandre représente les trois états du manuscrit du poème Nocturne agrandi à l’échelle monumentale.

Hommage à Saint-John Perse par Patrice Alexandre dans le Jardin des Plantes de Paris

Nocturne

Les voici mûrs, ces fruits d’un ombrageux destin. De notre songe issus, de notre sang nourris, et qui hantaient
la pourpre de nos nuits, ils sont les fruits du long souci, ils sont les fruits du long désir, ils furent nos plus
secrets complices et, souvent proches de l’aveu, nous tiraient à leurs fins hors de l’abîme de nos nuits… Au feu
du jour toute faveur ! Les voici mûrs et sous la pourpre, ces fruits d’un impérieux destin. Nous n’y trouvons
point notre gré.

Soleil de l’être, trahison ! Où fut la fraude, où fut l’offense ? Où fut la faute et fut la tare, et l’erreur qu’elle
est-elle ? Reprenons-nous le thème à sa naissance ? Revivrons-nous la fièvre et le tourment ?… Majesté de la
rose, nous ne sommes point de tes fervents : à plus amer va notre sang, à plus sévère vont nos soins, nos routes
sont peu sûres, et la nuit est profonde où s’arrachent nos dieux. Roses canines et ronces noires peuplent pour
nous les rives du naufrage.

Les voici mûrissant, ces fruits d’une autre rive. “Soleil de l’être, couvre-moi !” – parole du transfuge. Et ceux
qui l’auront vu passer diront : qui fut cet homme, et quelle, sa demeure ? Allait-il seul au feu du jour montrer
la pourpre de ses nuits ?… Soleil de l’être, Prince et Maître ! Nos oeuvres sont éparses, nos tâches sans honneur
et nos blés sans moisson : la lieuse de gerbes attend au bas du soir. – Les voici teints de notre sang, ces fruits
d’un orageux destin.

À son pas de lieuse de gerbes s’en va la vie sans haine ni rançon.

Saint-John Perse